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    Nous avons tous, à un instant ou à un autre, épié les gestes d'un proche ou d'un ami. Nous avons tous également, même si nous sommes parfois trop gênés pour le reconnaître, été intrigués par le comportement des personnes qui nous entourent. Vraisemblablement, le cinéaste Alfred Hitchcock était lui-aussi aux prises avec ce type de fantasme assez pervers, et " Fenêtre sur cour ", un chef-d'oeuvre voilant à peine les obsessions de son réalisateur, est d'une force dramatique incroyable. L'action se déroule principalement dans une pièce (à savoir, la chambre du personnage principal), ce qui donne une autre preuve de l'inestimable maîtrise d'Alfred Hitchcock, ici à l'apogée de sa créativité en tant qu'expert conteur.

    Comme à l'accoutumé, il était intéressé par tous les détails capables d'ajouter à la pertinence de ses protagonistes, de sa narration, de sa mise en scène... Pour les besoins de ce long-métrage, il a même supervisé la construction (d'un immeuble) de 31 appartements sur le plateau de tournage le plus imposant de l'histoire de la Paramount. Ils n'étaient pas tous meublés, mais une douzaine ont quand même été entièrement aménagés. Sous la caméra d'Hitchcock, cet extraordinaire décor se veut somptueux appuyé en cela, par une trame sonore d'une virtuosité inouïe (le volume de celle-ci se modulant au rythme des actions de tous les habitants du quartier). Le cinéaste aimait les défis... Il avait, ainsi, déclaré : " J'apprécie que l'on me mette en boîte, pour que je puisse ensuite trouver un échappatoire. "

  

     - HISTOIRE - 

Cette grande réussite (tiré d'une nouvelle de Cornell Woolrich, intitulé : " It had to be murder "), met en vedette James Stewart, un habitué des films d'Alfred Hitchcock, dans le rôle de L. B. " Jeff " Jefferies. L'homme est photographe de presse, mais il est forcé au repos suite à un accident (on lui a demandé de réaliser des photos sensationnelles, dans le cadre d'une course automobile). Il s'est fracturé la jambe gauche, en voulant soutirer le cliché le plus spectaculaire possible de l'événement. Au départ, pour se sortir de l'ennui, il observe les appartements donnant sur la cour de son immeuble de Greenwich Village : Espionnant avec une minutie impressionnante, les moindres faits et gestes de ses voisins. Il le fait au début avec un plaisir quelque peu pervers, mais les jours nouveaux amènent un équipement de plus en plus sophistiqué. Il se mettra, ainsi, rapidement à épier les environs avec des jumelles et quelques autres instruments encore plus complexes. Après un certain temps, il a de sérieux doutes sur les activités de l'un de ses voisins d'un face : " L'écrasant " Lars Thorwald (Raymond Burr). Assurément, une accumulation de coïncidences inattendues - incluant des disputes répétées avec sa femme, la disparition inopinée de cette dernière et la mort brutale d'un chien ayant probablement tenté de déterrer une pièce à conviction - réussie à le convaincre qu'il y a définitivement eu meurtre. Il est donc persuadé que monsieur Thorwald s'est débarrassé de son épouse invalide. Lisa (Grace Kelly) sa fiancée, ainsi que Stella (Thelma Ritter) l'infirmière veillant au bon rétablissement du reporteur, se font doucettement gagner par ses découvertes, et se joignent à lui dans sa quête absolue de vérité. Confiant de pouvoir faire arrêter Thorwald, il s'adresse alors à un ami détective répondant au nom de Thomas J. Doyle (Wendell Corey) qui hésite néanmoins à croire à toutes ses affirmations. Somme toute, il n'est pas possible d'y aller d'une perquisition avec des arguments aussi contestables. En effet, est-ce réellement un meurtre, ou les divagations paranoïaque d'une personne immobilisée chez-elle, en proie à la solitude ?

  

     - ANALYSE - 

    Traitant sur un ton humoristique des bas-instincts de l'humanité (voyeurisme...), ce long-métrage s'avère être, l'une des plus grande réussite d'Hitchcock. Assurément, d'un point de vue purement narratif, ce dernier aura rarement été plus impressionnant que dans " Fenêtre sur cour ". N'acceptant pas d'étaler un récit linéaire, il préfère nous présenter une succession d'incidents reliés au niveau de la thématique par une remarquable structure, qui progresse dès fois en temps réel, quadruplant ainsi le suspense des péripéties. Il édifie son film avec une rigueur dès plus personnel : A l'instar d'un chef-d'orchestre en pleine possession des ses facultés, il dirige chaque musicien avec une outrecuidance infinie, chacun jouant rigoureusement les notes lui ayant été assigné. Et c'est bien lui, qui une fois pour toutes, tire les cordes des marionnettes dans " Fenêtre sur cour ", et pas uniquement celles des techniciens et des comédiens : les nôtres, également.

    Nous avons, donc, entre les mains un film d'une richesse rare qui divulgue ses secrets avec un rythme si tranquille qu'il en devient excessivement captivant par moments. La première séquence, un long travelling très fluide faisant un arrêt chez tous les voisins de Jeff pour s'immobiliser en définitive devant ce dernier, donne merveilleusement le ton à ce qui suit : Tout est paisible, ordinaire, parfaitement semblable à tout bon voisinage qui se respecte. Et c'est ce qui est si enivrant : " Fenêtre sur cour " a beau avoir L. B. Jefferies comme personnage principal, mais ce pourrait être nous. Nous sommes témoins des mêmes événements que lui, dans un environnement analogue au sien. Sans y aller de gros plans révélateurs, Alfred Hitchcock nous harcèle avec des prises de vues nous détaillant ce que Jefferies perçoit du regard, avec ses jumelles. Il nous astreint littéralement à accepter et à endosser le rôle du voyeur sans scrupules, il veut nous faire avouer qu'il y a un plaisir malsain à faire ainsi. En écho, à notre suprême curiosité, il nous fait subir une contrepartie dès plus pénible, avec des rebondissements à l'ambition dévastatrice.

    Toutes les facettes du personnage de Jefferies sont bien élaborées et palpitantes : La relation entre sa profession et son comportement une fois au repos en dit beaucoup. En tant que photographe, il a l'habitude et cette envie de gratter sous la surface, sous ce qui semble apparent au premier coup-d'oeil. Son accident, même s'il se veut souffrant et irritant, lui est à la fois diaboliquement satisfaisant : Il a l'opportunité d'épier sans se faire remarquer, tout en se " protégeant " face aux mauvaises langues (étant blessé, il ne peut faire autrement que de rester dans son coin - ou dans son poste d'observation, si vous préférez). Ses dialogues sont également remplis d'antinomies - quand monsieur Thorwald croise son regard avec un air effrayé, il lance : " Il a précisément le regard d'un homme qui craint que quelqu'un ne l'observe ". Au même instant, lui-même recule dans la pénombre afin de ne pas être pris à son propre piège. - Sa liaison plutôt distante avec la charmante Lisa reflète l'image négative qu'il perçoit des couples de son quartier : Immanquablement, ils sont au coeur de tumultueux affrontements, n'étant plus véritablement amoureux. Il la dit trop parfaite... Normal, étant donné que confiné à son fauteuil roulant depuis quelques semaines, il n'a d'autre moyen que de la comparer, aux femmes instables des foyers avoisinants.

Nous pouvons aussi souligné qu'Hitchcock a maintenu un climat de nervosité et de crispation exemplaire tout en prenant soin de nous offrir diverses sous-intrigues. Les supposées manigances de Lars Thorwald sont bien entendu, au centre de " Fenêtre sur cour ", mais les autres personnes peuplant l'univers du film ont un rôle évident à jouer. J'admets néanmoins, qu'un certain nombre de visionnements sont nécessaires pour " distinguer " des détails, tels que les hauts et les bas de la carrière du compositeur (la première fois qu'on le découvre, il remporte un vif succès ; à la seconde occasion, il s'écroule ; et enfin à la dernière, il profite d'un regain de vie) ou les choix amoureux de la séduisante ballerine que Jeff se plaît à photographier (elle préfère en fin de compte, les hommes humbles et prévenants, aux riches tiré à quatre épingles). La profondeur de " Fenêtre sur cour " dépasse donc amplement l'événement perturbateur, ce qui lui assure d'être quelques têtes au-dessus du thriller habituel.

    L'interprétation quant à elle, est exceptionnelle. James Stewart, qui est mort en 1997, nous offre une performance très nuancée qui témoigne fortement de la nature exagérément indiscrète de son personnage. De prime abord, il est pondéré, réservé, éprouvé, mais plus il s'affaire avec assiduité à sa nouvelle occupation, plus il y prend goût. Il s'aventure davantage dans ses propres énigmes. Certains plans d'un thermomètre nous montre que sa température diminue au fil des événements, comme quoi d'être aussi voyeur n'est sûrement pas aussi hypocrite et narcissique que l'on veut nous le faire croire (une perspective qui en a choqué plus d'un en 1954). La magnifique Grace Kelly, habillée d'une garde-robe entièrement choisie par Alfred Hitchcock (qui avait l'habitude " d'apprêter " ses comédiennes, et de les prendre sous son aile avec une insistance insensée durant le tournage de ses long-métrages), n'est pas là à titre honorifique : Son jeu étant plus que convenable. La réjouissante Thelma Ritter agrémente le film d'un humour cinglant et Raymond Burr (qui interprétera par la suite : " L'homme de fer ", et " Perry Mason ") façonne un être foncièrement ignoble, menaçant.

    Le dénouement, comme certains des autres développements de " Fenêtre sur cour ", comporte implicitement plusieurs sens. Le "malheureux " Jefferies, avec deux jambes plâtrées, se voit à nouveau contraint à l'inactivité. Le fait, qu'il arbore pour ainsi dire, un sourire aux lèvres, nous laisse manifestement croire qu'il ne s'est pas détourné de ses habitudes perverses. Même après avoir frôlé la mort, il ne renonce pas, immuable fantaisiste vivant dans sa bulle. Ceci est assez inquiétant, mais presque compréhensible : Ayant vécu les mêmes " peines ", joies et déceptions que lui, nous serions ravis d'être les témoins de ses nouvelles aventures. Mais, " Fenêtre sur cour ", s'achève brutalement sur ce plan. C'est un peu comme si le réalisateur britannique faisait acte de présence, et tirait lui-même les rideaux, nous signifiant la fin de son film.  

  

     - CONCLUSION - 

    Long-métrage somptueusement divertissant tout en étant déconcertant et d'une densité psychologique absolument frémissante, " Fenêtre sur cour " continue toujours d'être analysé, les critiques essayant d'appréhender le sens principal, au sein de toutes ses sous-sections, et ses sous-thèmes. Dans une oeuvre aussi alambiquée, de réussir une conclusion ne laissant aucune incertitude dans l'esprit de tous, est utopique. Il nous reste, ainsi, qu'à nous incliner face à l'époustouflante technique d'Alfred Hitchcock, qui a réalisé ici un chef-d'oeuvre qui satisfait pleinement celui qui à la chance de le voir.

 

 

 

  

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