Oeuvre
émouvante, intrigante et imagé, " De Beaux Lendemains "
est l'histoire d'une cassure. Il y a un avant et un après. Le passé
est joyeux, convivial, familial. Le présent est hésitant, fissuré,
agité jusqu'à la souffrance. Bien entendu, il y aura un futur. Mais,
plus rien ne sera comme avant...
Adapté du roman éponyme de Russell Banks, qui retrace
les destins brisés des laissés-pour-compte du rêve américain, "
De Beaux Lendemains " a sans conteste été, l'un des films les plus
appréciés de la décennie passée, par la critique professionnelle.
A dix lieues de tout ce qui se fait dans le cinéma d'aujourd'hui,
ce drame psychologique du scénariste, co-producteur et réalisateur
canadien Atom Egoyan, est en fait un long-métrage extraordinairement
puissant, avec des images et des personnages qui semblent s'accrocher
à vous pour ne plus jamais vous quitter.
Injustement ignoré aux Oscars en 1997, ce film poétique
et complexe est au demeurant l'une des plus solides productions
des années 90. Un long-métrage aux multiples qualités, qui nous
laisse découvrir pas à pas l'histoire des habitants d'un petit village
canadien traumatisé par un drame que tout le monde aimerait oublier
sans y parvenir.
En
effet, par une belle journée d'hiver, survient un accident
d'une banale cruauté : La plupart des enfants du village
de Sam Dent ont péri à la suite du dérapage de leur
bus de ramassage scolaire. Qui sorti de route, s'est
englouti dans les eaux glacées d'un lac. Seule survivante
Dolorès Driscoll, la conductrice du bus et Nicole Burnell,
une adolescente qui entretenait jusque-là des liens
incestueux avec son père.
Ayant
eu connaissance de cette tragédie, Mitchell Stephens,
un avocat roué débarque au coeur de cette petite communauté
rurale, afin de mettre un coup d'arrêt à ce genre de
catastrophe, et convaincre les parents des victimes
de se constituer partie civile.
Mais,
alors qu'il essaie de rassembler la colère des habitants
et leur soif de vengeance autour de la recherche d'un
hypothétique responsable, Stephens se heurte à la défiance
de la petite collectivité. Qui face aux difficultés
de comprendre et de compenser la " damnation "
d'une génération entière, se réfugie dans un douloureux
mutisme : Ne sachant que trop bien, qu'un tel malheur
n'est dû qu'au destin et à un hasard cruel.
Malgré
cela, hanté par ses souffrances personnelles, à savoir sa séparation
avec sa fille Zoé, droguée jusqu'aux os, et le souvenir incessant
du jour où déchiré entre l'espoir de la sauver et la peur de la
tuer, il a dû pratiquer sur elle une trachéotomie, Mitchell Septhens
s'obstine. S'entêtant jusqu'à la rage à briser les résistances liées
au deuil, mais également au " courant corporatiste " de
la communauté, désireuse de régler elle-même ses problèmes.
De
ce fait, comme pour apaiser ses propres démons, Mitchell s'acharne
alors, à faire parler les parents, les témoins... A interroger Dolorès
et la Jeune Nicole, qui vient juste de voir ses rêves s'envoler,
en perdant l'usage de ses jambes après l'accident.
Pour
autant, au lieu d'éclaircir les circonstances de ce coup du sort,
son opiniâtreté ne mettra qu'a vif les blessures secrètes dont souffre
Sam Dent. Ravivant au-delà de la douleur, les inimitiés, les conflits,
les angoisses, mais aussi les relations douteuses, et autres sentiments
obscurs, d'une communauté que l'on croyait sans histoire.
Toujours
est-il, que c'était sans compter sur le courage et le désir de Nicole
de voir les familles se réconcilier autour de ce drame. En effet,
la jeune hémiplégique réussira seule à trouver le remède à cette
terrible tragédie. Préservant par la même l'unité de la communauté.
Certes, les responsabilités ne seront pas vraiment établies, et
Mitchell Stephens ne gagnera sûrement pas d'argent avec cette affaire.
Mais, tous finiront par accepter la fatalité plutôt que la rancoeur.
Décrivant
la collision entre le quotidien et l'exceptionnel, " De Beaux
Lendemains " nous plonge ainsi dans un récit étrange et plein
de malaise, qui n'en est pas moins poignant et remarquablement humain.
Et
si le style* avec lequel Atom Egoyan nous raconte cette histoire
peut ressembler à celui utilisé par John Sayles dans " Lone
Star ", il est à noter ici que tous les personnages croisant
notre regard sont superbement développés, pleinement crédibles,
et toujours intéressants. Ces derniers aidant même à faire progresser
le récit sans cassures.
Toutefois,
il faut quand même expliquer que l'ensemble, n'a (donc) pas été
tourné de manière conventionnelle*.
En
effet, durant tout le film, sa caméra tel un scalpel découpe des
morceaux de temps, comme les pièces d'un puzzle, qu'on assemble
sous nos yeux. Ce dernier, ayant choisit d'éclater la narration
sur différentes époques. Tissant, de la sorte une insolite toile
de passé, de présent et de futur dans laquelle, il capture ses personnages...
Ainsi, sur près de trente temps distincts, Atom Egoyan bascule son
récit d'un acteur à l'autre, s'attarde sur la vie des uns, remet
en scène les souvenirs des autres. Bref, on n'assiste pas à toutes
les péripéties " en direct ", mais petit à petit, saisissant
à chaque fois un moment opportun. Contrairement à certains autres
cinéastes, il fait confiance au public et dirige subtilement, ne
nous jetant pas à l'écran des indices évidents.
Mais
ce qui fait la force de ce long-métrage, c'est la douleur. Assurément
à l'instar d'un Win Wenders, Egoyan s'ingénie à trouver un "expédient
" à sa douleur. Elle est partout et règne en maître. Ses personnages
se tordent et se créent des situations pénibles. Préférant même
s'enfoncer dans le plaisir instantané de l'hypocrisie en négligeant
le présent. Ne faisant même qu'approfondir leur souffrance, au lieu
de se " soigner " par cette autothérapie.
Cependant,
ce dernier est loin de nous asséner les émotions comme dans certains
films à coup de musique violoneuse et de grands éclats en sanglots
bien bruyants, il nous laisse plutôt glisser dans la douleur et
la mélancolie, exprimées de façon complètement différente chez chaque
personnages. Ce qui ne donne que plus de "violence " aux
émotions. D'ailleurs, tous les personnages sont accablés : Stevens
étant aussi dans une situation très proche de celle des habitants
du village, en cherchant le moyen de " s'arranger " de
ses névroses et de se pardonner ainsi la déchéance de sa fille.
Reste
que l'utilisation des décors naturels, par Atom Egoyan est également
admirable. Cette affirmation n'a aucun lien avec l'argent : "
De Beaux Lendemains " a été tourné avec un budget minime. Mais
le fait d'avoir filmé en scope, apporte une exceptionnelle saturation
des couleurs et lègue une portée inouïe, voire mythologique au paysage.
Tout comme, il permet aussi d'être placé à une distance naturelle,
proche sans l'être trop, mais suffisamment pour créer une intimité.
Voire également de filmer, un faciès ou un acteur en même temps
que son environnement. Toujours est-il que, les paysages d'hiver
qu'il nous présente sont féerique, et accompagnent à merveille les
développements du scénario, en s'opposant de façon admirable à la
noirceur de ce dernier et de ses personnages.
Outre
cela, il faut également souligné que le cinéaste torontois, a réussi
à réunir des acteurs de tout premier plan, avec en tête Iam Holm,
magnifique dans le rôle de Mitchell Stephens. Un Ian Holm dont l'omission
dans la catégorie du meilleur acteur aux Oscars de 1997, est tout
à fait regrettable. D'autant qu'il méritait davantage une place
que Jack Nicholson pour " Pour le pire et pour le meilleur
". En effet, Holm façonne un personnage crédible à 100 %. Un
honnête homme pourtant intimement tourmenté. Il joue à vrai dire
de façon tellement sensible que ses émotions sont palpables. Pour
ce qui est des autres comédiens, ils sont tous remarquables. Notamment
Bruce Greenwood, dans le rôle d'un père aux innombrables facettes
ayant perdu ses jumeaux au combat. Et Sarah Polley dans celui de
la jeune fille secrètement abusée par son père.
En
ce qui concerne, le rythme du film, il est pour ainsi dire parfait,
et ce dans tout les sens du terme. Aucune minute, aucune seconde
n'est gaspillée. Assurément, il est très rare que je puisse visionner
un film sans regarder ma montre. En fait, je crois que ça ne s'était
jamais produit. Ce qui est normal, parce qu'il est pratiquement
impossible qu'un long-métrage de plus de 90 minutes n'ait aucune
faille de rythme. Car, même les meilleurs sont sujets à certains
ralentissements. Pourtant, je n'ai jamais eu l'envie de me retourner
vers ma montre lors de ce drame. Mené d'une main de maître du début
à la fin, tout coule... A l'image d'une mise en scène d'une grande
fluidité, pour ne pas dire magique et envoûtante, grâce à la candeur
des images et à la tension véhiculée par chaque plans. Mais aussi,
à l'hypnotisante musique de Mychael Danna, et à ce rythme finalement
si singulier. Qui associé à un sujet étonnant et déconcertant, n'est
pas sans rappeler les long-métrages d'un autre canadien. A savoir
: David Cronenberg.
En
résumé, " De Beaux Lendemains " est donc un film remarquable
et saisissant, par la perception ou plus sûrement l'impression qu'il
occasionne : Celle d'une asphyxie comme cette communauté villageoise
qui ne peut expulser ce deuil. Privé d'éléments superflus et superficiels,
mais remplie de profondeur, d'humanisme, d'images " affinés
" et d'un regard social sur le comportement dissemblable de
deux mondes (urbain et rural), " De Beaux Lendemains "
montre qu'en dépit de la douleur, du deuil, et de ce mystérieux
drame, l'être humain à la capacité et l'aptitude de retrouver sa
dignité. Bref, un film réellement impressionnant, que je vous recommande
donc, sans aucune hésitation !
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