On
dit parfois que les choses les plus simples sont parfois les
plus belles, voire les plus touchantes... Et c'est assurément
le cas pour " Dersou Ouzala ". Somptueux film-fleuve
réalisé en 1974 par Akira Kurosawa, quatre ans après le brillant
" Dode's Kaden ", ce dernier nous conte avec efficience
et frugalité l'expédition topographique menée en 1902, par le
jeune capitaine Arseniev et ses hommes aux confins de la Sibérie,
de la Mongolie, ... Et de la Chine.
Film
profondément humaniste, " Dersou Ouzala " inaugure
le début d'une collaboration pécuniaire avec de nombreux producteurs
étrangers ( Spielberg pour " Rêves " ; Silberman pour
" Ran " ; Lucas pour " Kagemusha "...) qui
permettront au maître japonais d'achever librement sans souci
d'argent, la dernière partie de son oeuvre cinématographique,
à savoir : Les grands films épiques et humanistes.
Long-métrage
à l'esthétisme " châtié " et " affiné "...
Intimement Russe, bien que réalisé par l'un des plus grands
cinéastes japonais, " Dersou Ouzala " est un film
que l'on découvre avec émotion.
Plébiscité
par le public, sacré par l'Oscar du meilleur film étranger en
1975, ce dernier est une surprenante et inopinée " sustentation
" aux douloureux échec de " Dode's Kaden " et
à l'éprouvante période traversée par Akira Kurosawa (il tente
de se suicider en s'ouvrant les veines, avant de tomber gravement
malade).
En
effet, l'invitation de Serguei Guerassinov (producteur/cinéaste
russe) de venir tourner en Russie, et d'adapter pour l'occasion
les récits de voyage du topographe et explorateur Vladimir Arseniev,
fut pour Kurosawa l'opportunité d'une résurrection personnelle.
Retrouvant,
en cela, le plaisir de filmer, le réalisateur nippon nous délivrera,
un magnifique long-métrage riches en incidents dramatiques et
en péripéties romanesques... Un film que l'on pourrait même
qualifier de " chef-d'oeuvre ".
Envoûtant
par sa sérénité, sa lenteur et la beauté des paysages qu'il
" murmure ", " Dersou Ouzala " vous immerge
corps et âme dans la taïga sibérienne, suivant le cheminement
du capitaine Arseniev, parti explorer avec une poignée de soldats,
une région méconnue de l'état-major moscovite : L'Oussouri.
Sur
sa " route ", le jeune officier croisera, un petit
homme nommé (vous l'aurez deviné) : Dersou Ouzala. Fils du peuple
Golde installé à la lisière de la Mandchourie et de la Russie,
Dersou est un chasseur qui depuis la mort de sa femme et de
ses enfants, ne connaît aucune attache, vivant en nomade dans
les forêts de conifères.
Très
vite, les militaires tomberont sous son charme. Connaissant
la taïga comme sa poche, Dersou les aidera à éviter bon nombre
de pièges, ... A trouver de la nourriture, ... A gagner du temps...
Etre
exceptionnel, doté d'une belle âme, Dersou Ouzala deviendra
vite le " maître " de l'expédition. Soucieux de tous
les animaux, considérant le feu, le vent, et l'eau comme des
" hommes très puissants ", ce dernier va fasciner
Vladimir Arseniev... - Et force est de constater, qu'il
ne sera pas le seul à tomber sous le charme. Attendu que, l'on
se surprend à avoir un brusque et formidable élan d'humanisme
et de bonté. -
Toujours
est-il, que Dersou lui apprendra à connaître et à respecter
la nature. Et lorsque, dans un scène inoubliable (où les deux
amis, piégés par la nuit, sur un lac gelé, en pleine tempête)
le vieil homme sauvera la vie de Vladimir, une profonde amitié
se liera entre les deux hommes, pourtant si différents. Mais
voilà, l'expédition prend fin et chacun doit retourner de son
côté. L'homme de la ville laissant, l'homme des bois et des
animaux, à sa liberté de mouvement...
Cinq
ans plus tard, en 1907, Arseniev repart pour une nouvelle exploration
scientifique dans la taïga. Alors, que les deux hommes s'étaient
quittés sans se donner de rendez-vous, chacun guette l'arrivé
de l'autre, dans une " intuitive " et apparente envolé
d'émotion... - Enfin s'embrasser, se retrouver sans mot
dire. Faire des photos comme autant de souvenirs que l'on gardent
en mémoire. Et à nouveau repartir marcher dans les forêts de
résineux. - Mais voilà le mal est arrivé... Un jour, alors
qu'un tigre rôde autour du campement, Dersou pour le faire fuir,
tire, et le blesse. Dès lors, quelque chose se brise dans l'ordre
naturel de la vie du petit homme, qui ne sera plus jamais le
même.
Assurément,
Dersou Ouzala semble payer très chère, ce geste considéré par
son peuple comme une malédiction. Son corps vieillie, sa vue
baisse, et de lisible, la nature lui devient sourde et rétive.
Perdant son humaine condition, ... Démoralisé, Dersou accepte
de suivre son ami Vladimir, chez lui... Dans une ville russe
des plus déprimante. Mais, il se sent enfermé, trop " enserré
" dans la belle maison du capitaine, et souhaite finir
ses jours à l'endroit où il a toujours vécu...
Ainsi,
qu'adviendra-t'il de ce petit chasseur hors pair, qui connaît
tous les secrets, tous les caprices et tous les dangers de la
taïga... De ce malicieux guide spirituel qui réconcilie l'homme
à la terre, mais aussi les peuples entre eux... Certes, je ne
vous révélerai pas l'issue de cette formidable épopée sereine
et fraternelle. Néanmoins, je vous dirai juste, que le "
monde " ne manquera pas d'imposer sa cruauté.
En
effet, avec ce film d'aventures, Akira Kurosawa
s'affichera pour la première fois de sa carrière,
en cinéaste pessimiste, qui n'a plus foi en la bonté
de l'homme. Car, davantage qu'un chant d'amour "
écologiste ", " Dersou Ouzala " exprime
" l'élégie " et l'amertume du maître japonais,
face à la rapacité et au matérialisme de l'homme
moderne (voir, les premières et dernières scènes
du film)...
Ainsi,
comme vous l'avez peut-être compris, les deux grands
thèmes de ce long-métrage : La nature omniprésente
et vitale... Et l'amitié virile entre deux hommes,
fascinés l'un par l'autre, et que tout opposent...
Est avivé d'un hymne à la tolérance.
En
cela, Kurosawa qui disposait d'une histoire simple
et vrai, l'a transformé en un récit bouleversant.
Réussissant le tour de force de rendre ses personnages
inoubliables et aisément identifiable, en les filmant
invariablement en plan large... Sans doute, pour
y glisser le maximum de nature possible...
Car,
" Dersou Ouzala " s'impose avant tout
comme une oeuvre sereine, un chant lyrique qui célèbre
la beauté des arbres, la douceur de la neige, et
le mystère de la vie partout présente.
En
conclusion... Avec un film préfaçant un tel sujet,
il est toujours possible de croire que l'on va s'ennuyer...
D'autant plus, que ce dernier dure près de 2h20.
Mais, c'est assurément mal connaître, Akira Kurosawa,
à qui l'on doit de sublimes long-métrages ( "
Rashomon " ; " Ran " ; " Les
sept Samouraïs "...).
En
effet, ce dernier évitera de vaciller dans la naïveté
ou le sentimentalisme, et nous " tracera "
admirablement, l'histoire de cet homme simple, au
savoir " inamovible ", que la société
contemporaine, à négliger (sacrifier ?)...
Toujours
est-il, que pris par le flot majestueux de ce film
(partiellement) dédié à la vie, et à la fraternité,
vous découvrirez avec passion et mélancolie, la
sagesse de ce vieil homme aux yeux bridés... Basée
sur la mansuétude, l'animisme et la communion avec
les éléments...
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